ACTUALITÉS NATIONALES
7 décembre 2020
Réaffirmons l’école
Aujourd’hui, l’appartenance à un groupe définit chaque être. L'homme blanc, hétérosexuel de plus de 50 ans le dispute au jeune végane antifa rebeu à haut potentiel. Le vivre ensemble se résume de plus en plus à la confrontation de tous les modes de vie. Chacun heurte l'autre par sa seule existence dans une susceptibilité paroxystique. Le glas du pacte social n’est peut-être plus loin de sonner.
L’école a joué un rôle dans cette dérive. Elle peut, elle doit aider à redresser le cap. Une tâche ardue s’il en est. Elle ne pourra pas la mener à bien toute seule.
S’opposer pour se sentir exister devient une norme
La fragmentation de la société est telle, qu'affirmer que "le ciel est bleu" expose à la colère des daltoniens injustement stigmatisés ou des satanistes anonymes pour lesquels le ciel n'a rien à voir là dedans.
La radicalisation, terme à la mode, gagne peu à peu la totalité des idéologies, voire des simples opinions. Les outrances identitaires s'érigent en norme, voire en vertu.
Dès lors, toute tentative de rassemblement est vouée à l'échec puisque prenant en compte une altérité offensante par nature.
La présomption que les élites sont malveillantes se répand toujours plus largement. La preuve ? Les décideurs ont fait de très brillantes études, affronté les concours les plus sélectifs, et investi les meilleures écoles. On ne peut pas avoir confiance en ces esprits là. La perfection n'existant pas, ils font même des erreurs ! Dès lors, démesurément discrédités par pareille faillite, les décideurs, quel que soit leur domaine d’expertise, ne sont plus en position de s'opposer au premier quidam venu auto-proclamé expert en tout mais spécialiste de rien, aussi pertinent qu'une horloge arrêtée qui donne tout de même l'heure exacte deux fois par jour.
Cette dérive constitue un vrai danger pour la démocratie. L'antiparlementarisme mène doucement à la dictature.
Le soupçon général dissuade tout homme de bonne volonté de contribuer au bien public. Être élu, c'est la certitude de devenir en un instant un "ils". "Ils ne font rien". "Ils ne pensent qu'à leur propre intérêt". Le complot n'est jamais loin.
L'école a pris part à cette dérive sociétale
Nous, enseignants, sommes tous impliqués, par fatalisme, aveuglement ou naïveté, dans cette insidieuse évolution. Nous, enseignants, participons plus ou moins inconsciemment à la marée de discrédit qui menace d’engloutir notre société.
La loi d'orientation de 1989 nous enjoignait de mettre l'enfant au centre des apprentissages, de faire de l'école un lieu de vie dans lequel la parole de l'enfant vaudrait celle de l'adulte. L'objectif était si séduisant, humaniste et progressiste que nous y avons tous souscrit à des degrés divers. Nous avons même été recrutés pour notre allégeance à ce dogme pédagogique auquel doit se convertir tout prétendant au concours.
L'orthopraxie pédagogique nous a tellement incité à la "bienveillance" envers les "élèves en difficulté", que cette indulgence a fini par s'étendre à leurs résultats. Le respect exacerbé de l'individu finit par imposer celui de la vacuité de ses pensées. Le curseur entre bienveillance et complaisance devient difficile à placer.
Évoquer la participation des enseignants à cette dérive expose à de brutales réactions épidermiques. Pourtant, combien d'entre nous ont déjà vilipendé notre ministère, nécessairement incompétent, éloigné des réalités du terrains, voire "pourri" ? Les imperfections du système auquel nous participons nous ont habitué à douter de ses intentions originelles.
Nous sommes nous-mêmes victimes de cette régression : notre réussite à un concours sélectif, après un honorable parcours universitaire, ne nous protège pas du même soupçon d'incompétence ou de dilettantisme qu'expriment certains parents d'élèves. Nous ne prétendons pourtant pas à la perfection, mais nous souffrons bien du doute sur la pureté de nos intentions.
Curieusement, plus on a proclamé "l'égalité des chances", plus elle a reculé. L'école élémentaire a sombré dans un égalitarisme idéologique. L'effort y devient inutile, puisqu'y renoncer engendre tout autant d'encouragements, et même davantage d'intérêt d'un adulte toujours plus acquis à la cause des plus faibles.
Dès lors, pourquoi se forcer ? Il est trop simple, trop tentant de laisser parler ses bas instincts, et se complaire dans le confort d'une communauté autoproclamée.
Réaffirmer l’école pour réparer les dommages
Apprendre à réfléchir est indispensable. Réfléchir, c’est ce qui nous rend libres.
Et si, pour apprendre à réfléchir, on commençait par s’assurer que nos élèves sachent lire, écrire et compter efficacement ?
Certes, un citoyen qui s'en contenterait ne serait pas nécessairement un bon citoyen. Mais que penser de celui qui ne dispose même pas des ces Savoirs élémentaires ? Préférera-t-il s’armer d’un bulletin de vote ou d’un pavé pour se faire entendre ?
Le SNE affirme depuis longtemps la nécessité première de la maîtrise des fondamentaux. Nous demeurons persuadés qu’il s’agit là d’une des clés qui permettra aux futurs adultes de s’affranchir des tentations d’aliénation simplistes qui gangrènent notre société.
Notre syndicat milite pour la reconnaissance des efforts de l’enseignant et des élèves. Dans le processus d’apprentissage, les deux ont des droits et des devoirs différents qu’ils doivent connaître et embrasser.
Et si, pour aider ses élèves à apprendre, l'école rétablissait un peu de verticalité, un peu d'autorité, un peu d'asymétrie ?
Le maître est celui par lequel les savoirs savants sont accessibles pour tous. Il est celui qui a fait des études, qui a lu, réfléchi, transpiré, douté, triomphé de l'adversité. A ce titre, il n'a nul besoin d'autoritarisme puisque son Savoir fait autorité. Et par lui, le Savoir fait autorité.
Réaffirmer cette position centrale, ce rôle prépondérant pour les élèves est devenu une nécessité pour laquelle le SNE se bat. Pour que le maître puisse remplir son rôle, il est donc indispensable de lui reconnaître à nouveau unanimement son statut d’expert.
Pour cela, le professeur a besoin de soutien. C’est parce qu’il en manque que les petits renoncements, les accommodements bienveillants ont peu à peu parasité nos pratiques. Ils honorent peut-être notre sens de la nuance, mais ils mènent peu à peu à la dislocation de la société.
Notre syndicat se bat pour que notre hiérarchie soutienne les enseignants sans faillir, pour que les textes qui le protègent soient appliqués, pour que les entrismes croissants dont souffre l’école cessent.
Le respect de l’enseignant doit redevenir la norme générale.
Et si l’école assumait la prépondérance des valeurs qui fondent notre société ?
Lors d’une visite d’école, un collègue pourtant expérimenté nous a confié : « Je fus choqué par des élèves qui refusaient d'entrer dans une église, ou dans un cimetière de résistants, "à cause des croix". Mais je n'ai pas montré d'indignation : trop idéologique ! Indulgence coupable... Respect mal interprété. Tolérance de l'intolérance, au nom de la tolérance... »
Ce témoignage est révélateur d’une École qui s’est perdue au point de ne plus défendre l’accès de tous ses élèves à la culture ou à l’histoire de France.
L’école qui se plie aux diktats, aux desiderata des uns et des autres est une école qui s’oublie, une école qui oublie qu’être "sans idéologie", c'est déjà une idéologie. Pourtant, combien de compromissions, d'auto-censures, avons-nous tous vécues ?
Dès lors, pourquoi ne pas véhiculer sans faiblir les valeurs républicaines ?
Nous le faisons déjà, bien sûr, mais "sur des œufs". Aujourd’hui, il ne faut ni choquer, ni stigmatiser, ni imposer. Certains payent un trop fort engagement de leur vie. Et pourtant.
Pour le SNE, l’École de la république doit s'imposer. Nous n'avons pas plus à "aménager" nos principes républicains que notre laïcité. C’est bien à l’école de se réaffirmer, d’oser mettre en avant ce qui nous rassemble plutôt que ce qui sépare.
C’est dans une telle École où le maître sera à nouveau soutenu effectivement par sa hiérarchie et reconnu par les parents que nos élèves pourront exercer sereinement leur métier d’élève et se préparer à relever les défis du monde qui les attend.
Samuel Paty lui-même s'apprêtait à renoncer à son cours sur la liberté d'expression. Et nous ?
Pierre Puybaret
Membre du bureau national
Philippe Ratinet
Secrétaire général aux publications