ACTUALITÉS NATIONALES
15 novembre 2021
Faire retrouver le goût de l’effort
Nous, professeurs, nous plaignons de ne plus avoir d’autorité, d’être mal aimés de la société, d’être déconsidérés … Mais n’avons-nous pas une part de responsabilité ?
Que sommes-nous devenus ?
Qu’est devenue l'École ?
La place accordée à l’élève a vidé l’école de sa substance
Hier nous étions instituteurs. Aujourd’hui nous sommes professeurs des écoles. Demain serons-nous "animateurs du groupe classe" ?
D’aucuns nous expliquent que l’élève, jadis, était dans un état psychologique de résignation parce que l’école lui aurait enseigné que son comportement n'aurait aucune influence sur le cours de sa scolarité. La fameuse impuissance apprise…
Ajoutez à cela Bourdieu, Dolto et Meirieu et vous aurez la recette de la déconstruction de l’École, notre institution bicentenaire qui était aimée et respectée de tous pour la possibilité d’ascension sociale qu’elle offrait à tous ses enfants.
Qu’en est-il de la puissance apprise ? N’est-ce pas action banale aujourd’hui que d’enseigner à sa progéniture qu’elle est la meilleure, de la flatter constamment, de la placer sur un piédestal et de l’idolâtrer ? L’enfant roi s’est infiltré dans toutes les couches de la population. Cet enfant est placé au centre de tout et investi d’une importance surdimensionnée. La famille virevolte autour de l’enfant superstar.
La loi Jospin de 1989 a placé l'enfant "au centre". Elle a entériné une vison humaniste qui proposait d'assouplir le cadre scolaire ("mon enfant n'est pas fait pour l’école" est devenu "l’école n'est pas faite pour mon enfant") . C’est l’interprétation de cette commande qui a abouti au désastre.
En effet, on peut parfaitement exiger des efforts d'un élève en le considérant comme "central". On sait depuis Erasme que la patience fait davantage que la férule. C'est l'articulation entre la liberté souhaitée et la rigidité d'une fonction publique corsetée qu'il convient d'interroger. La dialectique de la responsabilité individuelle des enseignants est au cœur du problème:
"J’applique cette gabegie, je sais que c'est nul, mais c'est pas ma faute : je fonctionne, et je suis promu."
"Je refuse, je résiste et je garde ma pédagogie : on me sanctionne."
Marc LeBris
Nous étions hier des Maîtres ayant pour mission de transmettre notre héritage et nous sommes devenus de simples animateurs de nos élèves eux-mêmes devenus “apprenants”. Aujourd’hui, l’élève ne reçoit plus le savoir. Il le découvre ou le redécouvre sans avoir les clés pour le comprendre.
Mais il ne découvre rien du tout, car n’est pas Pascal qui veut... Il faut nous réjouir, le voilà devenu acteur de ses apprentissages - nous disent les pédagogues et parfois ses professeurs !
L’école de l’individualisme a échoué
Aujourd’hui tout professeur doit prendre en compte non pas la classe mais chaque élève dans son individualité, dans ses attitudes, capacités, motivations et rythmes. Il faut proposer autant de contenus qu’il y a d’élèves, faire acquérir des connaissances différentes selon presque chaque élève, tenir compte de sa susceptibilité et ménager celle de chacun sans tenir compte du fait que la classe est un groupe.
Écoutez vos inspecteurs qui peuvent être aussi parents d’un enfant Roi ! Ils prêchent le dogme officiel, celui qui détient forcément la vérité, celui qui veut que, dans une classe, chaque élève puisse travailler selon ses propres itinéraires d’appropriation. Vos inspecteurs insistent pour une rupture avec la pédagogie frontale, avec la même leçon et les mêmes exercices pour tous. Selon ces principes, vous devez d’abord avoir le souci de chaque « individu élève », de vous démultiplier pour répondre à la moindre spécificité de chacun, quitte à aller jusqu’à renoncer à l’intérêt collectif, à celui du plus grand nombre , celui de la classe …
Eh bien non ! Cela suffit ! Après nous avoir imposé votre idéologie et votre dogme, force est de constater que les résultats de la génération de l’enfant roi sont catastrophiques ! A l’école, l’enfant-roi contrôle l’équipe éducative, remet en question les lois et les règles de l’école.
Le goût de l’effort doit être réinstauré
« Vous dites qu’il faut connaître l’enfant pour l’instruire ; mais ce n’est point vrai ; je dirais plutôt qu’il faut l’instruire pour le connaître »
Alain, Propos sur l’éducation, Propos XVI
L’élève doit avoir conscience qu’il ne sait presque rien et qu’il a encore beaucoup à apprendre. Oui petit d'homme, rien n’est acquis ! Il faut travailler avec labeur pour atteindre ses objectifs et surtout il faut le mériter. Sois humble petit d’homme.
Il appartient aux professeurs et à la société dans son ensemble de réaffirmer la dissymétrie qui se situe entre le maître et l’élève - entre celui qui sait et celui qui ne sait pas encore. Nous, professeurs, ne devons pas nous adapter à l'ignorance de l'enfant mais bel et bien lui demander l'effort considérable de s'élever.
« C’est dans l’effort que l’on trouve la satisfaction et non dans la réussite. Un plein effort est une pleine victoire »
Gandhi
La dictature du « respect » indistinct nous a menés jusqu'à celle de la bêtise. Professeurs, chercheurs, sociologues, comparaisons internationales s’accordent pour constater les dégâts dans une société où l'avis de l'inculte vaut celui de l'érudit.
Il faut donc enseigner à nos élèves, transmettre à nos enfants qu’il est toujours possible de progresser et de développer encore et toujours ses capacités... Il n’y a point de talents exploités sans travail !
« Je veux qu'il se sente bien ignorant, bien loin, bien au-dessous, bien petit garçon pour lui-même ; qu'il s'aide de l'ordre humain ; qu'il se forme au respect, car on est grand par le respect et non pas petit. Qu'il conçoive une grande ambition, une grande résolution, par une grande humilité. Qu'il se discipline et qu'il se fasse ; toujours en effort, toujours en ascension. Apprendre difficilement les choses faciles. […] »
Alain, Propos sur l’éducation, Propos I
Nos élèves doivent apprendre à se dépasser, à donner le meilleur d'eux-mêmes. C’est ainsi que l’on forme des esprits libres et autonomes et des citoyens indépendants et responsables.
Soyons exigeants avec nos élèves pour les amener à conquérir leur liberté intellectuelle.
Pierre Favre
Vice-président du SNE