ACTUALITÉS NATIONALES
9 juin 2022
Le plus beau métier du monde, vraiment ?
Le temps où les garçons voulaient devenir pompiers et les filles maîtresses d’école est révolu. Ces métiers d’engagement, jadis respectés et considérés, sont devenus des métiers à haut risque, comme la plupart des métiers de service où l’on est en contact avec le public.
Non, de nos jours, les garçons veulent devenir footballeurs et les filles influenceuses, ou inversement.
Bref, notre métier ne fait plus rêver. Enseigner est devenu si difficile que cela relève même parfois du cauchemar ou de l’exploit…
Commandement 1 : avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête tu enseigneras
La vérité sort de la bouche des enfants, c’est bien connu…Pourtant ceux-ci ne disent pas toujours la vérité, ou alors ils disent leur vérité, ce qui n’est pas la même chose. Cependant pour la plupart des parents, tout comme pour notre institution, la parole d’un élève vaut plus que celle de son prof : en tout état de cause, on y prête davantage attention. Le manque de confiance de nos supérieurs, voire la condamnation préalable nous obligent à nous justifier encore et toujours, tandis que l’on nous assène des discours lénifiants dégoulinants d’une bienveillance de façade. C’est bien l’élève qui est au centre du système, sacralisé aux dépens des enseignants.
Commandement 2 : des petites pincées de sel tu saupoudreras
Il fut un temps, pas si lointain, où la mission des enseignants était de transmettre des savoirs, et de former des citoyens capables de s’insérer dans le monde du travail. Avec les programmes réduits à leur plus simple expression (en termes d’exigences), on a habitué nos chers élèves à la réussite sans forcer. Plus besoin d’être talentueux, assidu, et encore moins rigoureux. L’école est devenue un lieu où les enfants doivent être en réussite, quel qu’en soit le prix. Une cuillérée d’APER, une pincée d’ASSR et une attestation d’aisance aquatique suffisent désormais à entrer dans le grand bain du collège où les collègues du second degré déplorent que de plus en plus d’élèves ne sachent désormais plus lire…
Commandement 3 : de la paperasse tu rédigeras
Connaissez-vous la différence entre un instituteur et un professeur des écoles ? Le premier passait du temps à faire des projets pour épanouir ses élèves ; le second remplit des dossiers -jusqu’à s’évanouir- pour faire des projets. Le règne de la paperasse chronophage, du risque zéro, ont petit à petit eu raison de la motivation des plus zélés d’entre nous…
Commandement 4 : avec un salaire indécent tu vivras
Chaque année ou presque, le SMIC est réajusté, et c’est tant mieux. Chaque année ou presque, le salaire des enseignants subit une érosion telle qu’un débutant gagne actuellement 1,25 SMIC avec un BAC+5. Qui veut faire autant d’années d’études pour une aussi faible rémunération ?
Commandement 5 : à chaque élève tu t’adapteras
Dans la vie, il est important de savoir s’adapter : c’est le propre de l’homme. En cela, le professeur des écoles est un surhomme car on lui demande de s’adapter à chacun de ses élèves. Triste plaisanterie… Même avec la meilleure volonté du monde, c’est impossible. Et il est important de se poser la question de savoir si c’est souhaitable… N’est-ce pas aussi à chaque élève de s’adapter à l’école ? N’est-on pas en train de former ainsi des jeunes qui ne sauront absolument pas s’adapter au monde du travail et à la société ? Imposer aux enseignants un tel niveau d'adaptabilité revient à formuler des objectifs impossibles à atteindre. C'est ainsi que les enseignants collectionnent les antidépresseurs sur leurs tables de chevet et remplissent les salles d’attente des psychiatres.
Commandement 6 : un temps de travail important tu effectueras
Certains idéalisent le métier de prof «pour les vacances». Ces «bienheureux» ignorent la charge de travail hebdomadaire qui conduit la plupart des enseignants à travailler le week-end, le mercredi et souvent une partie de leurs congés. La moyenne hebdomadaire, dans le premier degré, est de 43h… Quant aux destinations, n'ayant pas la possibilité de partir hors temps scolaire «quand c'est moins cher», le professeur des écoles devra savoir se contenter de peu en raison du commandement 4…
Nul besoin de créer un observatoire des rémunérations et du bien-être pour se rendre compte du manque d’attractivité de notre métier. Il suffit de constater le nombre de démissions, de ruptures conventionnelles et de burn-out, ou d’aller un peu dans les salles des maîtres. Le climat et l’atmosphère y sont pesants. Des capteurs et des purificateurs sont à distribuer rapidement aux enseignants car professeur des écoles, ce n’est vraiment plus «le plus beau métier du monde»…
Laurent Hoefman
Président du SNE