ACTUALITÉS NATIONALES
19 décembre 2023
Choc des savoirs : «beau-coup» contre notre liberté pédagogique
Le 5 décembre 2023, nous apprenions dans une lettre adressée aux enseignants, le contour des mesures proposées par M. le ministre de l’Education nationale concernant ce qui s’appelle désormais «le choc des savoirs».
Si, comme nous le disions dans notre article du 7 décembre 2023, certaines intentions nous semblent bonnes, il faut toutefois que notre ministre prenne garde à ne pas devenir plus royaliste que le roi. En effet, sur la page du MEN dédiée au choc des savoirs on peut lire : «Des manuels labellisés obligatoires en mathématiques et en français dans le premier degré et co-financés par l'état au CP».
Il s’agit d’une procédure inédite depuis très longtemps en France. Le caractère obligatoire d’utiliser les manuels labellisés pose un grave problème. En effet, la pertinence d’un manuel labellisé ne pourra se démontrer que par les résultats qu’il aurait produit. Il serait donc de bon ton de commencer par faire appel aux volontaires, pour tester ces manuels avant de les labelliser.
On peut légitimement s’interroger : comment vont s’adapter les auteurs et les éditeurs puisque la mesure doit entrer en vigueur en septembre 2024 ? Comment les collègues vont-ils pouvoir s’approprier ces ressources nouvelles ? Ce qui sera aujourd’hui présenté comme la panacée ne risque-t-il pas de tomber très vite dans l’oubli?
Ne s'agirait-il pas, de la part de notre ministre, d’un élan communicationnel précipité et voué à l’échec opérationnel?
De plus, rendre un manuel obligatoire est contraire à un principe qui sous-tend l’exercice de notre profession : la liberté pédagogique. Pour le SNE, proposer un outil de référence dont chacun peut être libre de s’emparer ou de s’inspirer serait une mesure beaucoup plus intéressante. Imposer une méthode stéréotypée relève d’un mode de management qui a fait la preuve de son inefficacité en d’autres temps et dans d’autres pays ou, plus proche de nous, avec la mise en place forcée des APC, pour le résultat que nous connaissons aujourd’hui. Cette façon de faire serait une atteinte à la liberté intellectuelle qui fait de nous des cadres et non pas des exécutants. Le SNE est donc opposé à cette manière de procéder.
Sur la même page, notre ministre nous annonce l’arrivée de nouveaux programmes. Ces derniers devraient être plus lisibles et articulés autour de progressions annuelles.
L’idée de programmes annuels ne nous choque pas, bien au contraire ! Ce sera peut-être la fin de ce qui n’a jamais vraiment fonctionné : les cycles d’apprentissages. Cette idée se heurte rapidement à la réalité (les élèves passent trop souvent en classe supérieure en ayant des lacunes qui deviendront impossibles à combler avec le temps). Ainsi se retrouve-t-on, en fin d’école primaire ou au début du collège, avec des élèves ayant parfois deux ans d’écart avec leur classe d’âge, en termes de maîtrise de certaines compétences ou de certains savoirs.
Disposer de repères nationaux par niveau d’enseignement permettra aussi de jauger plus finement les situations des élèves en fin d’année et donc d’étayer plus équitablement entre les territoires les propositions de redoublement.
Par ailleurs, les programmes actuels sont complétés par une quantité de ressources et de guides qui, pour intéressants qu’ils soient, sont hors de portée de la plupart des professeurs des écoles, qui n’ont matériellement tout simplement pas le temps de lire toute cette littérature, tant ils sont plongés dans le tourbillon effréné de leurs nombreuses tâches quotidiennes. Quant aux collègues débutants, ces derniers sont de plus noyés dans une masse de travail inhérente au début de leur carrière. Le SNE approuve donc toute initiative qui peut simplifier l’exercice de la profession au quotidien.
Dans le même ordre d’idée, une réécriture du «socle commun de connaissances, de compétences et de culture» sera amorcée. Cette nouvelle version devrait être articulée autour de quatre domaines :
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compétences fondamentales en mathématiques travaillées dans toutes les disciplines ;
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compétences fondamentales en français travaillées dans toutes les disciplines ;
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compétences psychosociales telles que la confiance en soi, l’organisation du travail personnel, la persévérance ou la capacité de travail en groupe ;
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connaissances de culture générale qui valident l’acquisition des repères mentionnés dans les programmes.
Le SNE accueille favorablement cette initiative si cela peut rendre plus opérationnelle l’évaluation de la maîtrise du socle et l’accès à la culture générale commune pour les élèves.
Une nouveauté réside dans un usage raisonné du numérique et de l'intelligence artificielle pour personnaliser les apprentissages et individualiser la progression des élèves.
Nous attendons de voir comment ces nouveaux outils vont être mis à disposition et quels usages en seront proposés aux enseignants lors des formations. Les professeurs des écoles ont grandement besoin d’être accompagnés dans ces nouvelles pratiques pédagogiques qui peuvent présenter une intéressante plus-value à l’enseignement classique (lire notre article sur le sujet). Nous gardons aussi à l’esprit que les élèves souffrent déjà de surexposition aux écrans.
Sortir d’une logique de passage systématique en classe supérieure en laissant la primauté de décision de redoublement à l’équipe enseignante constitue un revirement spectaculaire qu’il faudra manier avec précaution, surtout pour les élèves à profils particuliers pour lesquels une place en ULIS, IME, … a été décidée par l'Équipe de Suivi et de Scolarisation. Faciliter le redoublement ne devra alors pas servir d’alibi au manque de places dans les structures spécialisées.
C’est nouveau et courageux de le dire. Le SNE salue cette décision prise par le ministre. Les collègues sauront, à n’en pas douter, faire bon usage de cette possibilité, dans l’intérêt premier de l’élève, tout en ayant en tête que la collaboration des familles et de l’élève sont indispensables à une scolarité réussie. Cette évolution montre que ce n’est pas à l’école de s’adapter à chaque élève, mais que l’institution a aussi des attentes de la part de chacun d’entre eux, pour poursuivre correctement son cursus. Espérons aussi que les IEN réfractaires au redoublement sauront accepter les décisions des collègues, sans essayer de les influencer.
L’idée de permettre aux professeurs de situer les résultats de leurs élèves pour mieux les faire progresser est intéressante mais attention à l’écueil de la comparaison à outrance. En effet, comparer le résultat de ses élèves avec ceux de l’académie ou de la circonscription peut être un bon révélateur si les profils sont comparables. Aller plus loin deviendrait risqué. «Comparaison ne vaut pas raison».
Nous avons toujours été favorables à l’évaluation objective des résultats des élèves. Le SNE attire toutefois l’attention du ministre : il ne s’agit pas d’instaurer une compétition entre collègues d’une même école ou d’un même secteur. Ce sont les programmes qui doivent être suffisamment clairs et explicites, pour que chacun sache jusqu’où emmener ses élèves, sans que l’interprétation soit possible. Le reste dépend de beaucoup trop de paramètres pour pouvoir être comparativement significatif.
Ainsi, parmi les pistes proposées par le ministre, plusieurs obtiennent l’aval du SNE. Pour autant, nous voyons poindre un danger : la remise en cause de notre liberté pédagogique. Le ministre s’en défend mais imposer un choix entre des manuels labellisés ou des méthodes pédagogiques est une manière de régenter l’enseignement. On nous expliquera probablement comment présenter les choses de la «bonne manière» (sous-entendant qu’il y en aurait une mauvaise). Le SNE, très attaché à la liberté individuelle, ne peut se résoudre à accepter cela.
Les enseignants sont des cadres A de la Fonction publique, capables de concevoir et de mettre en œuvre leur enseignement, ils n’ont pas besoin de manuels labellisés mais de stabilité dans ce qu’on leur demande de faire apprendre et de moyens pour exercer leur métier dans de bonnes conditions. En effet, la valse incessante des programmes au cours des trente dernières années (1995, 2002, 2008, 2015 et ses variantes et enfin 2024) ne peut pas permettre aux PE de se familiariser et d’assimiler les instructions officielles qu’ils doivent pourtant mettre en œuvre. Par ailleurs, le nombre d’élèves confiés à chaque enseignant constitue aussi un paramètre important dans la réussite individuelle de chacun. Ne pas le prendre en compte serait une erreur.
N’oublions pas non plus la crise du recrutement que nous traversons actuellement. Certaines mesures annoncées risquent fort de décourager un peu plus les vocations naissantes …