ACTUALITÉS NATIONALES
23 janvier 2024
Maîtriser son devenir professionnel : une nécessité
Après notre focale de la semaine dernière sur les difficultés de recrutement, nous vous proposons cette semaine de nous intéresser à la problématique des départs volontaires.
A l’heure où notre ministère est aux abois pour tenter de recruter des enseignants par tous les moyens, il est intéressant de se pencher sur les données de la DEPP (direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance) concernant les départs volontaires dans l’Education nationale.
Jusqu’il y a peu de temps, lorsqu’on choisissait d’être enseignant, c’était pour toute sa carrière. On embrassait ce métier par vocation, et on poursuivait sa carrière sans trop de difficulté jusqu’à l’âge de 55 ans, âge de la retraite en 2002, repoussé progressivement jusqu’à 64 ans depuis peu…
L’allongement de la durée du travail et de la carrière, l’évolution de la société, mais aussi et surtout la transformation du métier d’enseignant ont modifié la donne.
Un taux de départs volontaires en nette augmentation
Les données comparatives qui s’échelonnent de 2008 à 2021 sont sans équivoque : le nombre de départs volontaires (démissions et plus récemment ruptures conventionnelles) est en augmentation très nette, tant pour les stagiaires que pour les titulaires.
On est passé de 74 démissions en 2008 à 466 en 2021 pour les stagiaires, soit six fois plus en 13 ans !
Le SNE voit deux explications majeures à ce phénomène : d’abord le choc issu de l’écart qui existe entre la représentation du métier et la confrontation avec sa réalité. Ensuite les difficultés de gestion du quotidien, notamment celles liées à la rigidité de l’affectation géographique. La question du blocage du mouvement dans le premier degré est une des causes connues de mécontentement et de mal-être dans la profession. La création du mouvement POP fut un premier pas, timide, dans le sens d’une mobilité géographique accrue. Le SNE milite pour bien plus d’ouverture et de souplesse dans ce domaine.
Pour les titulaires, on passe de 186 démissions en 2008 à 1 499 en 2021, soit huit fois plus. Dans ces départs volontaires, les ruptures conventionnelles (effectives depuis 2020) viennent s’ajouter aux démissions sans en faire baisser le nombre. C’est un phénomène aussi logique qu’inquiétant. Logique puisque ce nouveau dispositif permet de sortir du système avec un pécule non négligeable, ce qui est bien utile pour créer son entreprise par exemple. Inquiétant parce que cela accentue le phénomène des départs. A ceux qui estiment n’avoir plus rien à perdre s’ajoutent ceux qui saisissent l’opportunité de s’engager dans une autre voie avec un pécule pour se lancer. En clair : tous les moyens sont bons pour quitter le navire lorsqu’on est à bout.
Pour le SNE, permettre à tous les enseignants qui souhaitent partir de concrétiser leur désir serait un élément positif. L’enseignant ne serait plus condamné à demeurer pieds et poings liés dans une administration où il est entré dix, vingt ou trente ans plus tôt. Permettre des aller-retours vers d’autres administrations ou dans le privé rendrait la vie plus simple à certains collègues qui ont besoin de s’aérer pour éventuellement mieux revenir dans leur fonctions. Autoriser plus largement les temps partiels irait aussi dans le sens d’une flexibilité salvatrice. Notre syndicat milite pour que les enseignants puissent devenir maîtres de leur devenir professionnel. C’est une nécessité, surtout lorsque les carrières s’allongent et que la perspective de la retraite est une borne sur laquelle est gravé le nombre 64.
L’étude pointe également du doigt la différence entre premier et second degré : le premier degré est bien davantage impacté que le second (0,43% contre 0,26% des départs volontaires définitifs). L’accélération des départs volontaires est cependant constante jusqu’en 2019 puis elle explose.
Cette différence inter-degrés s’explique en partie par une exposition plus importante aux risques psychosociaux, peut-être par le sentiment d’être moins bien reconnu socialement dans le premier degré que dans le second. Voilà pourquoi le SNE milite pour la reconnaissance des spécificités de l’exercice dans le 1er degré et plaide notamment pour l’instauration d’un régime indemnitaire aussi étendu que celui existant dans le second degré.
Autre fait marquant, si la part des titulaires ayant moins de 5 ans d’ancienneté augmente régulièrement au niveau du nombre des départs volontaires depuis 2014, cette dernière se stabilise au détriment des titulaires plus expérimentés, dont la proportion des départs définitifs explose en 2021. Enseigner est bien une profession qui use ceux qui l’exercent.
Pourquoi une telle désaffection ?
Plusieurs éléments peuvent justifier ces chiffres.
Pour les stagiaires, le décalage énorme entre la représentation qu’ils se font du métier et la réalité de celui-ci ont raison de bon nombre d’entre eux. La somme de travail exigée, comparée au salaire joue également en défaveur de notre profession. Avec un Bac +5, on peut légitimement espérer être mieux payé ailleurs. C’est le pas que beaucoup franchissent désormais. La profession rêvée est battue en brèche par la réalité.
Pour les titulaires, c’est la perte de sens du métier qui justifie que beaucoup jettent l’éponge. D’une part, le métier n’est plus un métier de transmission des savoirs ou des valeurs, d’autre part, il a perdu beaucoup de sa superbe car il n’est plus valorisé dans la société.
Le premier degré, qui apparait plus concerné par la renonciation des agents, a été le premier impacté par la différenciation tous azimuts (et la fatigue psychologique que cela entraine) mais aussi par l’inclusion systématique qui pose de nombreux problèmes depuis la systématisation des PPS en 2014. A noter que c’est depuis 2014, année de la mise en place de la semaine de 4,5 jours, que le nombre de démissions a grimpé en flèche. L’attitude de la hiérarchie participe sans aucun doute aussi à l’écœurement.
Tous ces éléments amènent à penser que la dégradation des conditions de travail et le manque de soutien de l’employeur sont à l’origine de ces défections. Les premiers résultats du baromètre du bien-être au travail du printemps 2022 vont également dans ce sens : Les perspectives de carrière et leur niveau de rémunération sont jugés globalement insatisfaisants par les personnels de l’Éducation nationale. Par ailleurs, la moitié d’entre eux signale un sentiment d’épuisement professionnel élevé.
La période post-covid (2021) a encore accentué le phénomène de façon exponentielle : les consignes bureaucratiques et l’intrusion du métier dans la vie privée semblent avoir atteint les limites du supportable pour les enseignants.