ACTUALITÉS NATIONALES
14 février 2024
L’illettrisme numérique*.
À l’heure où chat GPT révolutionne le monde du numérique, où notre gouvernement veut légiférer au sujet des écrans, les classes équipées d’un vidéoprojecteur et d’un ordinateur commencent à se généraliser dans l’environnement scolaire.
Le plan de stratégie numérique pour l’éducation (2023-2027), repose sur «une série de mesures pour renforcer les compétences numériques des élèves et accélérer l’usage des outils numériques pour leur réussite dans ce monde de demain.»
Le plan prévoit de «fournir aux professeurs une offre claire mêlant outils et ressources numériques pour mettre davantage le numérique au service de la réussite des élèves ; encourager leur usage en proposant davantage de formations et d’accompagnement, afin que les enseignants puissent s’en saisir facilement et de manière la plus pertinente possible.» Que de belles intentions !
Les dotations disparates dans les écoles
Les municipalités rechignent parfois à investir dans ce type de matériel, souvent coûteux. Lorsque le pas est franchi, cet investissement sert parfois d’argument électoral. La mise en place de ces outils numériques, rarement de la dernière génération, parfois obsolètes et récupérés, est-elle la condition sine qua non à la validation de compétences numériques à l’école, à l’heure où l’on ne trouve même pas de photocopieurs noir et blanc en état de fonctionnement dans tous les établissements scolaires ?
Une fois que ces outils numériques sont installés, le personnel pédagogique se retrouve avec du matériel qu’il doit apprivoiser et dont il ne connaît pas toujours le fonctionnement ni les subtilités qui lui permettraient d'aménager de manière plus efficiente les apprentissages. Cela représente une difficulté supplémentaire pour les enseignants. Ceux-ci doivent alors se former et apprendre sur leur temps libre, avec le souci de mettre en place une pédagogie en lien avec les programmes et de donner aux élèves les apprentissages les plus performants.
De quand date la dernière formation enseignante adaptée aux nouvelles technologies et à l’utilisation du numérique ?
De quelle remise à niveau bénéficient les enseignants ?
C’est bien trop souvent le vide intersidéral… la plupart d’entre eux n’ont jamais eu l’once d’une heure de formation offerte par l’Éducation nationale, sauf peut-être au siècle dernier.
Certaines mairies pensent aussi qu’avoir branché ces appareils dans les classes les glorifient d’une aura bienfaisante d’éducation et de pédagogie et c’est avec de grandes courbettes et une autosuffisance non mesurée qu’ils les présentent aux parents, aux élèves et aux administrés, tels des diamants noirs rares et précieux.
Une fois le matériel à disposition, quid de l’entretien, des bugs, des dysfonctionnements, des ordinateurs tellement vieux qu’ils mettent parfois dix minutes avant de s’allumer ou qu’ils ne lisent pas les clés USB des enseignants car elles sont trop modernes. On peut citer l’exemple, parmi tant d’autres, d’une école ultra moderne, où le tableau numérique ne peut être utilisé par l’enseignante de la classe car il est placé de telle sorte que tous les élèves ne peuvent pas le voir de leur bureau. N’aurait-il pas été préférable de demander l’avis de l’équipe pédagogique utilisatrice du matériel ?
L’âge de pierre appliqué au numérique
Quelle formation donne-t-on aux enseignants pour appréhender les questions et les apprentissages avec les élèves au sujet des réseaux sociaux, de la crypto monnaie, de l’achat virtuel de propriétés, d’œuvres d’arts, des jeux en lignes et du cyberharcèlement ?
Comment forme-t-on les professeurs pour préparer les élèves à aborder ce nouveau monde qui sera le leur demain ?
C’est simple : on ne les forme pas ! On les laisse seuls face à ces nouveautés perpétuelles, qu’ils doivent apprivoiser. Pas si facile dans les faits, le corps enseignant ayant parfois moins de compétences et de pratiques que leurs élèves.
Au SNE, nous pensons qu’il est indispensable que les enseignants aient la possibilité d’être formés sur les 18h à ces nouvelles technologies. Du temps doit leur être octroyé à l’installation du nouveau matériel dans leur classe afin de pouvoir l’apprivoiser avec des techniciens compétents.
Plusieurs études nous démontrent aujourd’hui l’impact négatif des écrans sur le développement des facultés cognitives des élèves et sur leur développement cérébral. Le président de la République lui-même parle de limiter le temps d’exposition aux écrans. Il est donc hors de question de passer beaucoup de temps sur des ordinateurs à l’école. D’où la nécessité de mettre en place des formations qui permettraient d’aider les enseignants à accompagner les élèves dans leurs bons usages du numérique.
L’investissement personnel des enseignants seulement partiellement pris en charge
Avec la crise du Covid, on a vu l’émergence de la classe en distanciel, rendant visible l’ utilisation du matériel personnel (cartouches d’encre, imprimante, webcam, ordinateur), qui n’est dédommagé qu’avec une prime annuelle symbolique de 150 euros.
Quelle entreprise demande à son personnel de venir avec son propre matériel ?
Au SNE, il nous semble normal de fournir à chaque enseignant(e) une tablette numérique ou un ordinateur, ainsi que l’entretien, le renouvellement et la formation qui y sont adaptés. Au vu de l’inflation de ces dernières années, la prime informatique devrait, a minima, être indexée sur l’évolution des prix à la consommation.
Gabriel Attal, a mis en avant, au salon Éducatec de novembre 2023, que, «pour élever le niveau général de nos élèves, le numérique et l'intelligence artificielle sont des outils clés (..) Nous ne parviendrons pas à faire de cette révolution une opportunité si les enseignants ne sont pas au cœur de l'élaboration des outils».
Dont acte, s’il vous plaît.
Les propositions du SNE
Pour faire progresser les élèves et leurs professeurs dans la pratique de l’usage du numérique, il est trop facile de tout faire reposer, une nouvelle fois, sur le dos des enseignants. On pourrait par exemple, envisager que l’Education nationale propose des activités «clés en main» de découverte de l’outil numérique puis de sa maîtrise. Cela permettrait aux moins aguerris d’entre nous de se sentir plus en sécurité dans les temps d’utilisation de ces outils avec les élèves.
On pourrait également envisager d’encourager la présence d’intervenants pour encadrer, en lien avec l’enseignant, une activité informatique en groupes. Là aussi, le fait d’être à deux permettrait de rassurer les plus anxieux parmi nous.
De plus, il serait indispensable d’intégrer un module sur «la formation des élèves aux outils numériques» en formation initiale.
Enfin, on pourrait verser une dotation spécifique aux communes pour financer régulièrement tout ou partie du matériel informatique d’une école. Cela éviterait de se retrouver avec du matériel obsolète. Aucun enseignant ne travaillera le numérique avec sa classe si le matériel dysfonctionne, est trop lent ou buggue systématiquement.
*L’illectronisme, illettrisme numérique, ou encore illettrisme électronique, est la difficulté, voire l'incapacité, que rencontre une personne à utiliser les appareils numériques et les outils informatiques en raison d'un manque ou d'une absence totale de connaissances à propos de leur fonctionnement.