ACTUALITÉS NATIONALES
8 avril 2024
Protection des enseignants : cri d’alerte sénatorial
Aujourd’hui, selon les dernières données de la DEPP, l’immense majorité des enseignants de France se sent en sécurité sur leur lieu de travail. Il n’empêche que la moitié d’entre eux estime qu’un climat de violence règne dans leur établissement.
Néanmoins, dans un rapport adopté le 5 mars 2024, le Sénat indique «que la façon dont sont prises en considération et traitées les pressions, menaces ou agressions dont les enseignants peuvent être l’objet au quotidien – dans les écoles, collèges et lycées – est un sujet majeur et qu’à cet égard, une réponse publique adaptée et rapide – au niveau de l’Éducation nationale, des forces de sécurité et de l’institution judiciaire – s’impose.»
La chambre haute émet des préconisations pour éviter de nouveaux drames dans l’École de la République. La reconnaissance institutionnelle d’une crainte des enseignants pour l’intégrité de leurs personnes est un pas d’importance. Le SNE espère qu’il sera suivi de mesures concrètes.
Un constat alarmant
Le Sénat dresse un tableau de notre école qui fait froid dans le dos. «Les travaux conduits par la mission permettent de dresser le constat d’une violence endémique dans les établissements scolaires, qui touche désormais le primaire comme le secondaire. Les insultes, menaces, pressions et agressions constituent aujourd’hui le quotidien des enseignants».
Le constat fait ici est corroboré par l’augmentation du nombre de demandes de protection fonctionnelle par les enseignants (Source ministérielle). Dans le premier degré, les enseignants sont victimes d’agressions, verbales ou physiques, essentiellement de la part des parents d’élèves, plus rarement de leurs élèves eux-mêmes. Le nombre total d’agressions est à peu près identique dans les deux degrés, mais puisqu’il y a moins d’enseignants dans le primaire que dans le secondaire, la probabilité d’en être victime est donc supérieure chez les enseignants du premier degré. Statistiquement, elle est encore plus élevée pour les jeunes collègues féminines.
Quant à croire que certains milieux sont épargnés, le Sénat met clairement en garde. Selon lui : «Tous les territoires sont concernés».
Pour le SNE, cette évolution témoigne d’une dégradation de la profession d’enseignant. Le fait que le contenu même des cours soit contesté est un indicateur particulièrement fort de l’approche consumériste de notre école. Notre syndicat estime primordial de redonner à l’enseignant, et particulièrement à celui du premier degré, la place qu’il mérite dans notre société.
Cette reconnaissance passe par la rémunération, certes, mais aussi par une affirmation forte de sa qualité d’agent de l’État exerçant dans le cadre d’une fonction régalienne. La protection qui est accordée aux enseignants devrait être à la hauteur de la responsabilité qu’ils endossent au quotidien. Chaque enseignant de France devrait pouvoir aller travailler en toute sécurité.
Assurer une meilleure protection des enseignants
L’administration a réagi à la suite de l’assassinat de Samuel Paty, mais le Sénat constate que cela n’a pas suffi. Il propose d’aller plus loin à travers 38 recommandations.
Le Sénat entend d’abord protéger l’École des attaques qui la visent dans son entièreté, notamment par le biais de la laïcité. Il propose donc une formation renforcée dans ce domaine pour tous les enseignants et un renforcement de la culture collective des établissements autour de ce sujet.
Il est temps de réaffirmer l’École dans les valeurs qu’elle est supposée promouvoir et défendre, celles de notre République. Pour cela, il est indispensable de pouvoir afficher un front uni, que chaque enseignant se sente partie d’un tout plus grand que lui, qui le protège et donne du sens à son action. Seul le soutien indéfectible de notre hiérarchie pourra permettre à chaque enseignant de s’ériger en rempart face à l’ignorance et à toute forme de dictature.
Longtemps, on a voulu croire que la violence épargnait le premier degré. Le Sénat affirme aujourd’hui le contraire. Sur un an, plus de 37 000 collègues ont été victimes de menaces avec ou sans armes ! Cela n’a rien d’un épiphénomène.
La systématisation de l’octroi de la protection fonctionnelle à tout collègue qui en ferait la demande est une bonne idée, défendue par le SNE depuis longtemps. Que l’institution commence par faire corps autour d’un collègue serait un réflexe salutaire et bienvenu. Se savoir protégé a priori changerait la donne. A ce jour, cette défense est accordée dans 75% des cas mais elle est aussi méconnue ou peu sollicitée par les collègues.
Le Sénat souhaite aussi que les agresseurs et fauteurs de troubles soient sanctionnés plus efficacement qu’aujourd’hui. Qu’ils soient responsabilisés. Notre syndicat espère que cette déclaration d’intention aboutira à des mesures concrètes, même si les mesures de protection judiciaire existent déjà pour répondre aux agressions dont sont victimes les enseignants : l’application de l’article 433-5 du code pénal.
Ajoutez à cette montée de la violence le sentiment de solitude, le fait que l’on demande à l’école de régler tous les maux de notre société, que les parents sont intrusifs et s’estiment en droit de contester parfois jusqu’aux contenus des enseignements et un sentiment généralisé d’abandon par la hiérarchie, vous obtenez une souffrance au travail et la volonté d’y échapper. Quitte à baisser les bras sur certains points. Comment blâmer les collègues alors que, depuis Samuel Paty, nous savons que c’est jusqu’à nos vies qui peuvent être en jeu ?
Le Sénat propose donc de responsabiliser davantage les parents, de prendre mieux en charge les élèves perturbateurs et d’apporter une réponse identique sur tout le territoire en cas d’agression.
Le SNE salue cette volonté. Notre syndicat s’interroge néanmoins sur ce qui pourra concrètement être mis en place, à l’heure où l’école inclusive, jeune adulte de 19 ans, n’a toujours pas les moyens d’exister correctement. D’où viendront les moyens de mieux prendre en charge les élèves perturbateurs ou ceux ayant un trouble du comportement ? Quelle solution pour un enseignant (ou AESH) violenté par un élève scolarisé en milieu ordinaire par manque de place en ITEP ou IME ? Quel rempart sera érigé pour défendre les enseignants présents au portail ? Des caméras aux alentours prône le Sénat. Une mesure en vogue, mais est-elle réellement dissuasive ? De même, la simple signature par les parents d’une charte ou d’un protocole de gestion de crise de plus en début d’année ne suffira pas à changer la perception qu’ils ont de l’école.
Toutes ces années à dénigrer les enseignants, à laisser notre profession dériver, aboutissent au triste constat réalisé aujourd’hui. C’est un travail de longue haleine qui attend la France si elle veut rétablir les enseignants et son École dans leur légitimité. Le chemin est long, le Sénat entend le prendre, lançons-nous avec lui et prenons le pari d’un lendemain meilleur qu’aujourd’hui.