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ACTUALITÉS NATIONALES

10 janvier 2020

Égalité ? Vous avez dit égalité ?

Dans l’Éducation nationale ?

La DGRH a présenté une étude sur la répartition entre les sexes des recrutements aux concours 2015 à 2018 lors du CTM de mai dernier. Les résultats indiquent que la part des femmes parmi les inscrits, les admissibles et les admis au CRPE est supérieure à 80%. Notre profession fait donc l'objet d'une surreprésentation féminine. Cette situation n’a plus rien de surprenant aujourd’hui. Elle n’en n’est pas moins préoccupante.

En effet, une école qui est largement féminisée présente une vision stéréotypée de notre société aux élèves. Il est donc urgent d’inverser la tendance actuelle. Même notre ministère en convient. La réunion du 28 novembre dernier pour la présentation du plan national d’action 2018-2021 du MENJ et du MESRI pour l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes en témoigne.

 

Pourquoi le métier d’enseignant est-il tant féminisé ?

 

Nous avons plusieurs hypothèses à vous proposer en partant d’une analyse réalisée en 2011 par Jean-Louis Berger et Yannick d’Ascoli : Les motivations à devenir enseignant : revue de la question chez les enseignants de première et de deuxième carrière.

 

Une raison intrinsèque

Pour ces auteurs, enseigner serait un moyen pour les femmes d’assouvir leur « désir de travailler avec des enfants ou des adolescents, de les aider à réussir ou de contribuer à l’amélioration de la société ».

Selon Julie Krazowski, « les femmes sont en effet davantage attirées, à l’université, par le domaine des lettres ou langues, des sciences humaines et sociales », filières les conduisant majoritairement au métier d’enseignante. Elles délaissent effectivement les filières scientifiques.

D’ailleurs, le questionnaire « élèves » de PISA montre que les jeunes filles de 15 ans se projettent dans des professions supposées convenir aux qualités des femmes, comme l’attention aux autres (1).

 

En amont, la socialisation familiale joue un rôle. Si les attentes parentales sont aujourd’hui les mêmes en matière de niveau d’études pour les enfants des deux sexes, elles demeurent différentes en matière d’orientation aboutissant à la sous-représentation des filles dans les filières scientifiques (2).

 

Une raison extrinsèque

 

« Le professorat fait bon ménage […] avec la condition d’épouse et de mère » pouvait-on lire dans un article en 1995 (3). Est-ce toujours le cas aujourd’hui ?

 

Il semblerait que les mentalités n’aient pas encore évolué. Dans un article d’avril 2018, l’UFAPEC évoque le fait que le métier d’enseignant permet de concilier vie sociale et professionnelle (4), ce qui convient aux femmes dont le rôle conjugal principal reste celui de s’occuper de la famille (5).

 

À ces raisons, nous pouvons ajouter le fait que les hommes désertent ce métier car il est aujourd’hui dévalorisé (6). En effet, qui souhaite encore de nos jours devenir enseignant ? Les étudiants ne sont pas fous.

 

Qui voudrait décrocher un BAC+5 pour recevoir en retour un salaire proche du SMIC, une faible reconnaissance de la société, des conditions d’exercice difficiles où votre parole d’enseignant n’a presque plus de valeur et où vos choix pédagogiques, faits et gestes sont remis en question par les parents ?

Les hommes s’orientent davantage vers des postes soi-disant « prestigieux », bien rémunérés, « plus masculins », à pouvoirs (7). C’est la raison pour laquelle on les retrouve dans les strates les plus élevées de la hiérarchie (8) ou chez les représentants syndicaux.

Hélas, cela ne fait qu’amplifier ce phénomène de dévalorisation du métier d’enseignant car la féminisation d’une profession fait baisser son prestige : « Les analyses de Pierre Bourdieu induisent l’idée que la capacité d’une profession à résister au déclassement se mesure à son pouvoir d’endiguer le flot des candidatures féminines. » (9) .

 

Comment remédier à ce déséquilibre ?

Selon les sociologues qui se sont penchés sur la question, il faudrait :

- revaloriser notre métier au niveau du salaire, du statut de l’enseignant : ce métier doit redevenir respectable et essentiel pour la construction de la société de demain ;

- mieux former les enseignants, les dirigeants, les supérieurs hiérarchiques sur les questions de genre car inconsciemment nous reproduisons les modèles que nous avons subis ;

- indiquer des procédures claires aux agents pour le traitement des violences sexistes ;

- mieux faire connaître aux parents, à la société en général, la réalité du métier d’enseignant ;

- faire témoigner les hommes qui enseignent pour casser les préjugés.

 

Élodie Rougier

Déléguée SNE87

(1) OCDE, L'égalité des sexes dans l'éducation, aptitudes, comportement et confiance, 2015

(2) Fournier & Lefresne, Les inégalités de genre au prisme des objectifs chiffrés de la stratégie européenne éducation et formation, 2020

(3) Ernst, Une affaire de femmes ? La féminisation du corps enseignant racontée par la photo de classe, 1890-1990. Recherche et formation n°20, 139-1471995

(4) Baie, Féminisation de la fonction enseignante : causes et impacts pour les élèves ?

(5) et (8) Krazowsky, Trop de femmes à l’Éducation nationale ? 2016

(6) Pech, Enseignant : une profession de plus en plus féminisée

(7) GMF, Évolution et chiffres clés de la féminisation dans l’Éducation nationale

(9) Cacouault-Bitaud, La féminisation d'une profession est-elle le signe d'une baisse de prestige ?

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