LA PROTECTION DES ÉLÈVES : suspension ou radiation d'un élève dangereux,
mode d'emploi
Décret n°2023-782 du 16 août 2023
«Lorsque le comportement intentionnel et répété d'un élève fait peser un risque caractérisé sur la sécurité ou la santé d'un autre élève de l'école, le directeur d'école, après avoir réuni l'équipe éducative, met en œuvre, en associant les parents de l'élève dont le comportement est en cause, toute mesure éducative de nature à faire cesser ce comportement. Le directeur de l'école peut, à titre conservatoire, suspendre l'accès à l'établissement de l'élève dont le comportement est en cause pour une durée maximale de cinq jours.»
«Si, malgré la mise en œuvre des mesures mentionnées au premier alinéa, le comportement de l'élève persiste, le directeur académique des services de l'éducation nationale, saisi par le directeur de l'école, peut demander au maire de procéder à la radiation de cet élève de l'école et à son inscription dans une autre école de la commune ou, lorsque les compétences relatives au fonctionnement des écoles publiques ont été transférées à un établissement public de coopération intercommunale, dans une école du territoire de cet établissement.»
«Lorsque la commune ne compte qu'une seule école publique, la radiation de l'élève ne peut intervenir que si le maire d'une autre commune accepte de procéder à son inscription dans une école de cette commune.»
«L'élève fait l'objet, dans sa nouvelle école, d'un suivi pédagogique et éducatif renforcé jusqu'à la fin de l'année scolaire en cours.»
«Lorsque le directeur d'école saisit le directeur académique des services de l'éducation nationale pour mettre en œuvre la procédure de radiation prévue au deuxième alinéa, il peut, à titre conservatoire, suspendre l'accès de l'école à l'élève pendant la durée de cette procédure.»
Quelles sont les conditions nécessaires à la mise en place d’une procédure de suspension ?
Risque caractérisé sur la sécurité
et/ou la santé mentale et/ou physique des élèves*
+
Caractère intentionnel
+
Caractère répétitif**
* Ces dispositions ne trouvent pas à s’appliquer si c’est tout autre individu qu’un élève qui encourt un tel risque (enseignant, AESH, intervenant, personnel municipal...) sauf dans l’hypothèse où cela ferait, par ricochet, encourir un risque pour la santé mentale des élèves.
Le SNE regrette que cette mesure ne puisse pas s'appliquer dans le cas d'une agression verbale et/ou physique envers un adulte de l'école. Ce sont pourtant des situations de plus en plus fréquentes qui font peser de lourdes charges mentales voire physiques sur les personnes qui en sont victimes.
Pour le SNE, on pourrait considérer néanmoins qu’être quotidiennement spectateurs d’insultes ou de coups donnés par un élève à son enseignant puisse faire naître un sentiment d’insécurité tel chez d’autres élèves qu’il compromettrait leur santé psychique. La condition de risque caractérisé pour les élèves serait alors remplie même si ces élèves ne sont pas directement victimes des insultes ou des coups…
** La répétition ne suppose ni que les faits soient de même nature, ni qu’ils soient de nature différente. Peu importe donc que les comportements soient strictement identiques ou non, dès lors qu’ils remplissent la condition de faire peser un risque caractérisé sur la sécurité ou la santé d'un autre élève de l'école.
Une procédure plus encadrée qu’il n’y paraît…
Bien que peu détaillée par le décret, la procédure doit respecter plusieurs principes.
Préalable
Le règlement intérieur de l’école est LE document-référence. Il doit être :
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présenté et voté en Conseil d’Ecole
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communiqué en des termes simples à tous les membres de la communauté éducative
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consultable toute l’année (affichage, cahier de liaison, site internet)
Il n'est pas impératif d'évoquer le dispositif d'exclusion temporaire d'un élève au sein du règlement intérieur : s'agissant d’une disposition légale, elle s’applique sans nécessité d’être validée en Conseil d’école. Le SNE vous recommande néanmoins fortement de l’y faire mentionner, ne serait-ce que pour faire connaître ce nouveau dispositif aux parents d’élèves et aux élèves.
Premiers signaux
Dès le premier comportement intentionnel d’un élève faisant peser un risque caractérisé sur la sécurité ou la santé d'un autre élève de l'école, il est indispensable :
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de faire preuve de réactivité
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d’ouvrir le dialogue avec l’élève auteur, en apportant une réponse éducative rapide et adaptée.
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de favoriser l’implication de la famille
Une trace écrite des mesures éducatives peut être consignée dans un document «Préparation de l’équipe éducative».
Répétition : réunion de l’équipe éducative
Si le même auteur adopte à nouveau un comportement intentionnel faisant peser un risque caractérisé sur la sécurité ou la santé d'un autre élève de l'école, le directeur de l’école réunit dans les plus brefs délais l’équipe éducative.
Pour réunir l’équipe éducative en bonne et due forme :
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transmettre aux 2 parents une convocation à l’équipe éducative
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rappeler le nom de l’élève concerné
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préciser la date, l’horaire et le lieu de la réunion
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préciser explicitement que «Les parents peuvent se faire accompagner ou remplacer par un représentant d'une association de parents d'élèves de l'école ou par un autre parent d'élève de l'école».
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garder une trace écrite de la convocation des parents (si possible par mail avec accusé de réception voire en format papier remise contre signature)
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si l’absence volontaire des parents est constatée, convoquer une seconde fois l’équipe éducative, à nouveau en proposant des créneaux accessibles aux parents ;
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s’ils ont désigné un remplaçant, il est prudent de demander que ce mandat soit formalisé par écrit.
Tous ces éléments permettront de démontrer a posteriori, si nécessaire, que le directeur a mis en œuvre tous les moyens pour associer les parents au processus.
Après avoir réuni l’équipe éducative, le directeur :
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décide des mesures éducatives et de l’éventuelle mesure conservatoire de suspension de l'accès à l'établissement de l'élève dont le comportement est en cause, pour une durée maximale de cinq jours
On n'emploiera pas ici le terme d’«exclusion» puisque l’exclusion est une mesure de sanction qui ne peut être prise qu’à partir du collège, à l’issue d’une procédure disciplinaire.
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notifie le procès-verbal de l’équipe éducative ainsi que sa décision concernant les mesures à mettre en œuvre aux parents. Cela signifie qu’il les en informe par écrit, idéalement contre signature, en précisant le contenu et la durée des mesures éducatives.
Les mesures prises visent à éviter que le risque pour les autres élèves ne se réalise et à garantir l’ordre dans l’école. Elles ne sauraient être assimilées à des sanctions sous peine d'être annulées par le juge. Le recours à de telles mesures doit toujours avoir une visée éducative et faire l’objet d’une adaptation à chaque situation, en tenant compte de l’âge et du degré de responsabilité de l'élève, de sa personnalité et du contexte, y compris des éventuels éléments médicaux fournis lors de l’équipe éducative… La complexité est telle que le SNE a demandé au ministère des exemples précis de ce qui peut être considéré comme une mesure éducative dans le cadre de cette procédure.
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garantit le suivi pédagogique et la continuité des apprentissages (article R411-15 du code de l’éducation) pendant la durée de cette suspension, a minima en transmettant à la famille les contenus abordés en classe pendant la durée des suspensions d’accès. Il n’est ici question de rien de plus que de ce qui est réalisé dans le cadre d’une absence pour maladie.
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conserve ses obligations en matière de contribution à la protection de l’enfance vis-à-vis de cet élève (article R411-18 du code de l’éducation).
L'affirmation d'une autorité souveraine du directeur, à titre conservatoire, est une excellente nouvelle ! Le SNE a soutenu cette orientation visant à donner aux directeurs un outil leur permettant de rétablir l'ordre dans leur école. Cette possibilité d'exclusion était largement réclamée par les enseignants depuis des années.
Cette nouvelle procédure pourrait permettre, dans les cas de harcèlement par exemple, de déplacer l'agresseur afin que la victime ne soit pas contrainte de changer d'établissement, ce qui est actuellement une terrible injustice et une situation vécue comme une "double peine" par les élèves concernés. Cependant il est à craindre que, (très) souvent, la radiation d'un élève soit problématique, notamment en cas d’absence d’une autre école publique sur la commune.
Échec constaté des mesures éducatives : saisie du DASEN
Si, malgré la mise en œuvre de ces mesures, l’élève auteur réitère des comportements répondant aux critères énumérés ci-dessus, le directeur d’école saisit le DASEN par la voie hiérarchique pour solliciter la radiation de l’élève et son inscription dans une autre école publique. L’accord des parents n’est pas nécessaire pour ce changement d’école, et le directeur de la nouvelle école ne peut refuser d’admettre l’élève ainsi inscrit.
Il appartient au nouveau directeur et à la nouvelle équipe pédagogique, en associant les parents et, le cas échéant en s’appuyant sur une nouvelle équipe éducative, de définir les mesures d’accompagnement individualisées pertinentes pour l’année en cours.
A compter de la saisine du DASEN par le directeur d’école et jusqu’à la décision de celui-ci, le directeur de l'école peut à nouveau, à titre conservatoire, suspendre l'accès à l'établissement de l'élève dont le comportement est en cause, cette fois sans que cette période de suspension soit limitée à cinq jours. La réitération et la durée de la mesure de suspension peuvent être salvatrices pour les victimes. Il s’agit d’une avancée majeure dans la protection des élèves.
Quels nouveaux risques juridiques pour les directeurs d’école ?
Si la circulaire de rentrée 2023 envisage la systématisation de l’octroi de la protection fonctionnelle dans un certain nombre de situations, la pratique montre que le délai de décision d'octroi peut être important et sa mise en œuvre demeure restrictive.
Le SNE ne peut que conseiller aux directeurs de...
- ne pas rester isolés. En effet, il faut pouvoir instaurer un dialogue nourri avec les IEN (grands absents du texte juridique), les membres de l’équipe éducative, les psychologues et médecins scolaires…
- souscrire une assurance professionnelle à même de les former, les accompagner et de leur apporter une protection complémentaire à celle, encore bien trop lacunaire, de l’État.